S'extraire, vouloir se séparer d'un monde que l'on connaît, d'un univers cloisonné qui restreint notre mode
de penser, de ce que l'on peut facilement concevoir. S'exempter des règles, des conventions et des traditions. Vouloir partir dans une dimension fantastique de hasard.
Le préfixe ex- écrit sans trait d’union, marque la sortie, la séparation, le point de départ. Ex-. Quitter un état d'être et en explorer un autre. Expérimenter pour dépasser sa propre imagination, pour trouver sa liberté d'expression, pour exister.
Je me tiens dans le «tout est possible». Il n'y a ni limites, ni règles. Il n'y a que des procédés expérimentaux répétés et améliorés. Ma confrontation à la terre a été le révélateur de ma volonté : saisir les sensations profondes et les faire sortir avec puissance, naturel et instinct. Je recherche l'impact émotionnel, sensoriel, intrinsèque plutôt qu'intellectuel ou consensuel. J'aspire à bousculer les repères.
S'extraire de quoi ?
Mon projet devait matérialiser l'irrésistible besoin que j'avais de vouloir m'extraire...mais de quoi ?
Trop plein, sensation d'être enchaînée à terre, prisonnière. Nécessité absolue de s'extraire, de s'arracher du sol, d'aller vers le haut. Quitter un état d'être et en explorer un autre. S'extraire...
Mais vers quoi ?
Vers un monde différent, où les choses ne sont pas comme on les attend, où nos références sont troublées, nos repères bousculés, déséquilibrés. Où le hasard est accepté autant que le contrôle.
Ma démarche : vivre mon extraction
Je me suis aperçue qu'en cherchant une représentation symbolique, conceptuelle de ma volonté de m'extraire, j'allais justement à l'encontre de ce que je cherchais à exprimer. Ma démarche a donc été de vivre mon extraction et non de chercher à la figurer.
Et après quoi ?
À l'origine, j'ai souhaité faire une pile d'assiettes telle la tour de Babel pour m'élever, pour m'arracher du sol.
C'était sans doute un peu par orgueil que je souhaitais monter le plus haut possible. Mais finalement, je sentais que je n'irais pas bien haut.
En voulant empiler des assiettes dégoulinantes d'émail j'évoquais finalement mes excès. J'accumulais des choses, les unes sur les autres et leur lourdeur due à l'émail me pesait autant que les biens matériels que l'on peut empiler chez soi et qui n'aident absolument pas à l’élévation de l'esprit, bien au contraire.
J'ai donc ramené cette pile d'assiettes à un totem des excès de notre société et à un type d'extraction qui ne nous aide pas vraiment à exister mais nous mène à l'isolement . On entasse des objets auxquels on attache de la valeur, pour leur beauté ou leur fonctionnalité potentielle pas toujours évidente.
J'ai choisi d'estamper les assiettes dans des assiettes tournées, biscuitées plutôt que de toutes les tourner car grâce à cette technique j'ai pu les faire assez fines pour qu'elles se déforment sous le poids de l'émail et la chaleur du four. Ainsi j'ai pu obtenir l'aspect dégoulinant et tordu que je voulais.
Les émaux utilisés sont de haute température cuits en oxydation rapide dans un four à gaz Feller. Ceux-ci sont à peu près les mêmes émaux que ceux utilisés pour « Il faut qu'il se passe quelque chose » mais le rendu est différent à cause du mode de cuisson.
Si tout n'est pas possible, c'est tellement bon d'essayer
C'était très difficile pour moi de devoir chercher une idée plastique et conceptuelle qui pouvait tout dire, tout englober, être à la fois représentative et expressive sans être littérale ! Et c'est finalement de m'être extraite des pratiques conventionnelles de la céramique, de la représentation d'une idée, sa conceptualisation, de la tentation de faire du beau, de l'esthétique, que j'ai découvert ma façon à moi d'exprimer l'extraction. J'ai donc fait plus que de représenter l'extraction... je l'ai vécue !
Toutes ces expérimentations m'ont donné une immense sensation de liberté, d'existence. C'était un soulagement de me dire que même si tout n'est pas possible, c'est tellement bon d'essayer.
Tout s'est alors mis en place d'un coup et les liens se sont faits tout naturellement . Les deux parties de mon projet parlent tous les deux du processus de s'extraire mais avec des issues différentes : je choisis l'existence plutôt que l'isolement.
