Institut Européen des Arts Céramiques

Association pour l’enseignement, la formation et la diffusion des arts céramiques en France et à l’étranger

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François Compagnon

Terre transie

Envie de réveiller les consciences, de dénoncer, de plaquer au sol les inquiétu­des et les démons qui hantent le monde. Ce sol où nous cherchons l’équilibre, sur lequel nous marchons, nous faisant grandir pas à pas, cheminant vers un avenir incertain peuplé de défis et de choix à prendre, d’espoirs et de déceptions.

Tourner, façonner, tendre, cuire et faire sienne cette terre qui nous nourrit et recèle tous les mystères de l’univers.

Tout est lié.

Je cherche à trouver de nouvelles façons de mettre en relation l’histoire du monde avec mon histoire personnelle. Je vise à trouver de nouvelles percep­tions, un nouveau sens et de nouvelles connexions entre certaines traditions, l’histoire et les événements du monde actuel.
 

Pluie de Bombes


GENÈSE DU PROJET : PEINTURE SUR VASES – PEINTURE SUR TERRE NOIRE


J’ai commencé à tourner une série de vases sur lesquels j’ai pu adapter des peintures dénonçant le secret et les mensonges liés à l’enfouissement des déchets radioactifs et l’héritage empoisonné légué aux futures générations.

L’homme est d’ores et déjà face à des techniques dont il ne maîtrise plus les effets.
 
 

INSPIRATIONS - LES BOMBES

À force d'acharnement je commence enfin à maîtriser le tournage. Je recherche une forme plus contemporaine, un objet qui a marqué les esprits, qui puisse me permettre de faire un constat, un état des lieux de notre société moderne actuelle sur le point d’exploser ; un stéréotype qui remet en cause les abus et des dérives du monde moderne par l’utilisation parfois barbare de techniques modernes à des fins destructrices ou meurtrières.
 
Quand nos archéologues creusent le sol ils y découvrent des vestiges de céramiques, des tessons témoins du passé.
Quelles traces notre civilisation pourrait-elle laisser derrière elle ?
Deux bombes de 200 kg datant de la seconde guerre mon­diale ont été découvertes en août à Guebwiller. Le rappro­chement entre une bombe et un vase m’a sauté au visage.
C’est décidé, je tournerai des bombes. Symbole d’une guerre qui ne s’est jamais vraiment arrêtée. Des bombes qui nous mettent tout à coup face à nos responsabilités et nous renvoient à une histoire collective.
 

ASPECT TECHNIQUE

La simplicité de la forme provoque un effet immédiat, instantanément assimilé à une histoire universelle implantée dans l’inconscient collectif. Elle donne l’impres­sion de s’enfouir dans le sol, venant tout juste de tomber du ciel et pénétrant la matière, sur le point d’exploser. La chute imminente crée une tension, un danger permanent renforcé par l’instabilité de l’objet.
 

RECHERCHE D’ÉMAUX

Le grès noir est un défi, une promesse, une illusion ; un grand et extrême labeur accompagné d’un millier d’angoisses en devenir. Parmi les soixante douze plaquettes du diagramme quarante trois de Frère Daniel de Montmollin, deux m’ont particulièrement intéressé.

La courbe de cuisson a été modifiée pour obtenir un résultat de matière en fusion, une texture coulante et décollée comme embra­sée sous le feu de l’explosion.
 
Les émaux obtenus au four à gaz sont sidérants et énigmatiques tout à la fois. Les bombes y ont trouvé un bon petit coin chaud pour se revêtir de leur aspect camouflage aux nuances bleu métallisé ; sec et mat.  Le four à gaz est un outil passionnant et imbattable en terme de rendement !
 

Hibakusha

GENÈSE DU PROJET : PEINTURE SUR TERRE NOIRE

La critique des bombes à l’uranium n’est pas tout à fait mon propos. L’usage de cette arme me révolte, mais je ne veux pas me perdre dans ce sujet épineux. Je ne sau­rais avec exactitude comment lui donner du sens et le défendre. Je reviendrai sûrement sur ce thème un jour prochain, dans un autre contexte.

 
C’est plutôt l’intervention du modelage, de la déformation et de l’assèchement de la terre qui m’a intéressé. Peu satisfait par le rendu plastique de la peinture sur terre, j’ai mis de côté l’image pour me concentrer sur la plaque elle-même...

CROÛTES TERRESTRES

L’aspect des ces plaques évoque une «croûte terrestre» qui a été carbonisée sous la défla­gration d’ondes de choc. L’explosion de la bombe a propagé des agents mortels dans tout le secteur où naîtront les enfants de l’atome.

TÊTES PRÉTIFIÉES

Rituel matinal : en entrant dans l’atelier je coule un crâne en porcelaine.

Ils prolifèrent et s’accumulent, j’entame un processus de vieillissement de l’os avant de leur apporter un visage et une expression. Les crânes ne sont plus directement assimilés à la mort, mais ils per­mettent d’appréhender l’existence vaine de l’être humain et symbolisent la transition entre la vie et la mort.

Le terme japonais Hibakusha, qui signifie littéralement « personnes affectées par une explosion » désigne en effet plus communément les survivants des explosions nucléaires de Hiroshima et Naga­saki.
 

ASPECT TECHNIQUE

Deux techniques ont été entreprises pour ce projet :

- estampage de terre dans un moule à tête pour obtenir un visage greffé sur le crâne
- recouvrir la tête de mort de barbotine par couches successives.
Vient ensuite la phase de modelage, de séchage puis de retrait.

 
L’engobe de faïence liquide permet de se rapprocher de la couleur de la peau en train de passer du stade vivant au stade mort, dans un sens comme dans l’autre et de nuancer l’es­pace entre la tête et la plaque.
 
La porcelaine a un taux de retrait de 13%, le grès noir de 4% durant la cuisson. Ce phénomène de trans­formation m’a conduit à cuire les têtes en basse température pour éviter d’avoir un crâne plus petit que le visage.
J’ai découvert de nombreuses pistes, de multiples champs d’exploration et compris beaucoup de choses sur le travail de la terre. L’apprentissage de la céramique m’a demandé une attention soutenue lors de la fabrication en tenant compte de ce qu’il se passe en amont et en aval.

 
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