Institut Européen des Arts Céramiques

Association pour l’enseignement, la formation et la diffusion des arts céramiques en France et à l’étranger

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François Bauer

Nos temps d’abîmes

"Lorsque je regarde le fracas du monde, je m’interroge.
La réalité est lourde, chargée de polémiques et d’émotions crues.
Les chocs sont nombreux, pourtant la journée est courte.
Il me semble que nous avons aujourd’hui plus que jamais besoin de poésie, pour traduire les choses, pour sauver et guérir."
Friedrich Nietzsche, in "La naissance de la tragédie" 


Alors je m’interroge, je plonge dans l’abîme et dans le temps, j’essaie de trouver une solution comme j’ai pu l’apprendre dans mes études de design.
Et s'il n’y a pas de réponse à tout ce tumulte, peut-être faut-il simplement que je le questionne, que j’ouvre des champs de réflexion, que je mette à jour des paradox­es ?
L’entreprise est vaste, mais ce n’est que le début.
 
 
 
 

Alors je rassemble les fragments abîmés, je les confronte, je cherche les correspon­dances et les indices, je construis et je déconstruis, je joue.
Je suis cet archéologue du présent, et cet architecte du passé.

 

La porte du passage

Ériger une porte.

Pour rentrer et sortir, pour passer quelque chose.
Une porte à la fois ancienne et actuelle, mais sans date précise, pour entrer et sortir d’un temps, entrer et sortir d’un autre lieu. Il ne doit pas y avoir de date, ni de lieu.

Les portes anciennes étaient faites en pierre, celle-ci sera faite de terre, dans des pierres de terre. Il me faut alors des blocs de terre, j’en ferai plusieurs, ils seront superposés pour donner la porte...
Je me suis tourné vers la terre noire, nue, car je désirais une couleur « noir charbon », une terre brulée. La réduction me permettait cette couleur anthracite bleuté.

J’ai été confronté durant la cuisson à des problèmes qui font d’autant plus tomber mon projet vers la ruine.

Les parties inférieures de ma porte ne s’assemblent plus. Comme pour me rappel­er que j’ai produit cette porte en deux temps, le bas, puis le haut. Il faut peut-être les traiter en deux temps. Le bas pour entrer, le haut pour sortir.

Nos ruines

J’ai toujours aimé les ruines. D’une part car elles font partie de moi, de mon histoire, de par mon attrait pour les civilisations antiques, les usines abandonnées... D’autre part car elles font partie d’une histoire, qu’elles ont pu abriter dans un contexte déterminé…

Il y dans ces ruines contemporaines quelque chose de différent des ruines de guerre ou des ruines antiques. Elles sont d’aujourd’hui. Ces ruines induisent une zone qui se tient de côté tout en étant avec nous, cela me fait penser au film "Stalker" d’Andrei Tarkovski. Elles sont notre présent après la catastrophe. Pourtant celle-ci n’est pas encore arrivée, ou pas totalement.

La vision de ces ruines me ramène à notre présent. Et je me questionne.

Les contenants abîmés

Le choix de la terre : la porcelaine

La porcelaine est une terre qui me fascine. D’une part par sa texture, cette souplesse si particulière, et pour son histoire et les cultures dans lesquelles elle est ancrée. D’autre part, par l’exigence qu’elle nécessite dans son façonnage, la finesse qu’elle permet d’atteindre, et sa mémoire. C’est la terre que je préfère travailler, tourner, avec la faïence.

Étrange, ce sont comme deux opposés. Je n’aime pas le blanc de la porcelaine, mais j’aime sa tex­ture, sa rigueur, et qu’elle permette une révélation de l’émail par sa couleur blanche. De l’autre côté, j’aime le rouge et la chaleur de la faïence, sa texture grasse sous les doigts mais pas la terre vernissée et ses couleurs.

Je ne veux pas choisir car je suis les deux à la fois.

Altérer la forme

J’altère les couches par différentes techniques.

Il s’agit alors pour moi de briser les lèvres in­férieures à la consistance cuir lorsque la porcelaine se déchire si bien.

Poser la couleur

La mise en couleur utilise toujours ce même principe du collage de fragments, mais en terme d’image cette fois-ci. 

J’utilise des jus d’engobe avec des pigments, du noir brillant, de la couverte brillante, des oxydes. J’opère une première mise en couleur sur sec, puis une seconde sur biscuit.

Archéologie du présent

LE TÉTRAPYLE EST TOMBÉ

Produire des éléments identiques, cylindriques, en nombre.

Traiter chaque élément comme la partie d’un tout, puis les coller pour prendre de la hauteur.

Revenir avec un outil pour creuser la terre, altérer la surface comme de la pierre taillée.

Dans le travail de la terre, je grave, je creuse, j’imprime des élé­ments. Je cherche à révéler des reliefs de hauteur différentes, des strates.

J’ai commencé à creuser comme un archéologue, qui cher­cherait à révéler quelque chose. Ou comme un sculpteur qui inscrit dans des bas-reliefs des obsessions.

Imprimer un rythme autour des cylindres.

Ce qui coule et ce qui demeure

Ce qui coule et ce qui demeure, voilà deux choses qui sont inséparables. Une fois cuite, la céramique demeure, les flux qu’elle contient, eux, coulent, se vident, s’évacuent.

La vie dans sa totalité est une période dans laquelle les choses qui s’échappent et les choses qui restent interagissent les unes avec les autres…

L’archéologie et l’histoire sont saturées de choses qui restent, et ce sont ces choses qui sont présentées dans nos musées. Tout ce qui coule, lui, disparait ou se transforme en récits et survit de cette façon. Et parfois ce qui a disparu laisse une trace sur ce qui reste, comme ces escaliers de vestiges antiques qui portent encore la marque de ces milliers de souliers qui les ont foulés. Ou comme ces formes qui dépassent les temps et les cultures.

Aussi me semble-t-il important de travailler sur des objets qui peuvent développer plusieurs temporalités.

La céramique est nécessaire car elle permet l’orchestration de nos temps. J’aime la céramique car elle fige l’instant, elle arrête le liquide temps. Elle le matérialise, le capture et, comme une photographie, en garde la trace.

Temps et Histoire

Mes céramiques sont des fragments de temps. Elles sont ces ruines qui constituent l’histoire. Alors je les déplace, je les confronte, je les assemble et j’essaie de faire cohabiter les temporalités.
Je fouille l’histoire,
je regarde les strates,
je m’intéresse aux souvenirs perdus,
je découvre et redécouvre,
je prends ici et là des instants, des fragments,
des revenances et des survivances,
pour faire ma céramique.

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